Ecolieu familial alternatif en Creuse (23) – Erika Tombolato

Un bonheur fragile

Documentaire : Un bonheur fragile – Une famille se réinvente

Sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/119010-000-A/un-bonheur-fragile-une-famille-se-reinvente

Une famille norvégienne vit en autarcie dans la nature jusqu’à ce qu’un drame vienne faucher leur si précieuse harmonie. Grand prix du jury 2024 à Sundance, un documentaire émouvant sur la quête parsemée d’obstacles d’une existence hors du commun.

Dans une petite ferme située dans les environs d’Oslo, les Payne mènent une existence à l’écart du monde. Maria et Nik ont mis en place une vie de famille à la fois autonome et en harmonie avec la nature. Leurs quatre enfants, Ulv, Falk, Freja et Ronja, sont scolarisés à la maison et poursuivent leur apprentissage à leur propre rythme, en dehors de toute contrainte. Pour gagner l’argent nécessaire à leurs besoins, Maria travaille occasionnellement comme photographe. Mais lorsqu’elle est rattrapée par un cancer du col de l’utérus qui va lui être fatal, le monde idyllique et autosuffisant des Payne s’écroule. Nik et les enfants font face au deuil et à de nouveaux défis au quotidien. Très courageux, le jeune veuf tente désespérément de maintenir leur mode de vie, mais il va devoir envoyer les enfants à l’école.

Récit solaire de la perte
C’est l’histoire d’un paradis perdu. Dans le petit monde bâti à sa main par la famille Payne, le drame n’est pas venu de l’extérieur et des méfaits supposés de la société moderne, mais de la fulgurance d’une maladie imprévisible. Très émouvant tout en évitant tout dolorisme, le documentaire primé de Silje Evensmo Jacobsen, porté par des protagonistes solaires, fait le récit intime de la perte, d’une quête d’une cohésion nouvelle face à un quotidien qui vient de perdre ses repères. Parsemé des belles photos de ses enfants prises par Maria, Un bonheur fragile approche avec une grande sensibilité ce processus difficile qui va notamment amener les deux aînées à un passage accéléré à l’âge adulte.

Cet après-midi, j’ai visionné ce documentaire. J’ai pleuré, beaucoup pleuré.

Il résonne énormément en moi… le deuil de la personne aimée. La souffrance des enfants, faisant son chemin de deuil chacun à sa façon, les peurs, les doutes, les changements de vie. Le deuil touche tous les aspects de la vie et pour chacun de nous.

Il résonne aussi au moment où le papa des filles et moi nous sommes séparés : changement de vie et compromis avec mes valeurs, idéaux et choix de vie pour les enfants et moi-même. Avec le papa des filles, nous vivions comme Nik et Maria. Une vie libre, centrée sur la Nature, la vie familiale, les enfants. Après notre séparation, maman solo, par la force des choses, j’ai dû trouver des compromis. Notre mode de vie a changé. Moins en marge. Cela a été une souffrance pour les enfants et pour moi. Mais, seule, tout devenait plus difficile. Je ne pouvais plus tout gérer, assumer, porter, faire. Des peurs sont aussi apparues. Être parent est une immense responsabilité. Le changement de lieu de vie a entrainé des bouleversements. Adieu la maison bioclimatique, de faible consommation énergétique et autonome.

Avec Denis, nous avions la même soif de liberté, d’autonomie, d’osmose avec la Nature. Valeurs communes. La loi IEF restreignant, voir interdisant, cette liberté et harmonie de nos enfants, de notre famille, nous mettait déjà à mal et a crée un immense malaise dans notre vie, nous poussant à partir à l’étranger, pour nous réinventer une vie Libre, harmonieuse et sereine, où les enfants pourraient vivre sans crainte, sans épée de Damoclès au-dessus de leur tête et sans pression pour nous tous. Vivre sous pression, dans la peur, où notre liberté, nos choix de vie, nos choix éducatifs dépend d’autres et sur lesquels nous n’avons plus de pouvoir, est très difficile à vivre. Alors, nous mettions en place tout pour partir dans de bonnes conditions.

Sa mort a tout remis en question. Et j’ai peur. Je me retrouve à nouveau à tout porter seule, porter mes 3 enfants sans soutien affectif et moral. Denis ne portait pas tout cela, l’administratif, la mise sur papier des projets etc, c’était moi. J’ai toujours portée la vie, le quotidien seule depuis toujours. Être maman solo ne change pas grand-chose dans les actes de la vie quotidienne. Mais, Denis me soutenait moralement et affectivement. Il était mon pilier, mon soutien. Sa force, sa détermination me portait et me solidifiait.

Je n’ai pas besoin de vendre mon écolieu. J’ai toujours fais en sorte de faire sans crédit, sans dette, de « bâtir » du solide et pérenne. J’ai toujours anticipé l’avenir pour qu’il soit, matériellement, solide pour les enfants et moi. Mais, quand j’ai découvert la menace d’effondrement du hangar d’accueil et de mon cabinet, je me suis effondrée l’espace de quelques jours, car sans solution, tous mes projets, tout ce que je construis depuis 25 ans s’effondrait et alors la seule solution aurait été de vendre et tout recommencer, encore, autre part, seule et dans la souffrance du deuil pour les enfants et moi. Et là, de suite, je n’en ai pas la force, l’énergie et la solidité intérieure.

Si l’instruction en famille est remise en cause, un jour pour nous, alors nous partirons, ça c’est certain. Quand j’aurai repris des forces, j’anticiperai et mettrai en place un plan de départ, si besoin.

J’ai pleuré, car le vécu de cette famille résonne tant avec mon vécu, notre vécu…

La souffrance du deuil, le mien, celui des enfants, deuil rendu encore plus compliqué par le contexte d’une famille recomposée, la souffrance des projets qui cessent et à réinventer, les peurs qui émergent… les miennes, celles des enfants…. les non-dits, les silences, les larmes ‘cachées’, les collectives, le lien d’Amour, le manque, l’Absence….

Mes enfants sont « oubliés » dans ce deuil… Beaucoup pensent à son fils « pauvre gamin qui a perdu son papa ». Oui, c’est vrai, pauvre petit garçon. Mes enfants ont entendu ces paroles… et personne n’a pensé à leur chagrin, leur souffrance, leur perte. Cela peut sembler anodin, mais ça ne l’est pas… C’est leur nier une place, leur place, leurs émotions, la légitimité de leur souffrance, de leur perte, de leur lien d’Amour. Mes filles ne se sentent pas légitimes dans leur souffrance et ne posent pas en mots (mon fils est encore petit et dans son mode, ça semble lui passer au-dessus)… Elles ont vécu 4 ans avec lui, leur « deuxième papa », h24, 7 jours sur 7… leur vie reposait sur lui, sur nous… Il les aimait comme ses propres enfants. Il le disait « j’ai 4 enfants ! », il les appelait « mes enfants ». Il les aimait, les « élevait ». Il était un papa… et ils étaient très proches. Un lien d’Amour était là, est toujours là.

Ils ne se sentent pas légitimes non plus vis-à-vis de leurs papas… comme un conflit de loyauté « je ne peux pas exprimer ma souffrance auprès de mon papa  d’avoir perdu un autre papa ». Alors, c’est moi là aussi qui porte et qui les accompagnent à panser leurs plaies. Son fils manque à notre famille : il est de notre famille… Ils se disaient frères et sœurs… et il était aussi mon fils. Mais, le beau-parents n’a aucun droit..

Je vois cette aînée qui s’éloigne pour se protéger et avancer et la petite sœur en souffrance. Mon aînée prend du large. Elle s’éloigne pour construire sa vie et aussi se protéger, ne pas se sentir obligée de me porter, nous porter. Et sa sœur en souffre beaucoup, son frère aussi. Tellement de changements, de rupture en quelques mois et en simultanées.

Je vois aussi cette famille faire vivre femme et maman. Elle est là, présente avec eux. Comme Denis avec et pour nous. Notre connexion spirituelle nous aide et nous accompagne. Je découvre mes enfants et surtout mon tout petit, si connectés, si empli de sagesse, de philosophie… Nos rituels… pour le garder vivant et présent dans notre Vie.

Maintenant, j’ai peur de mourir. En soi, je ne crains pas ma mort. Je crains de l’avenir de mes enfants si je meurs. Je crains pour mes enfants, car pour le coup, leur vie changerait radicalement…. Et ce serait une double peine pour eux.

J’aurai tellement à dire sur ce que ce documentaire soulève en moi, dans mes émotions, dans mon vécu personnel… mais je ne trouve pas les mots, juste les larmes…

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